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Super Colette. Chap. 1 : Permettez-moi de me présenter

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  Permettez-moi de me présenter : je m’appelle Colette Ménard, j’ai soixante-et-douze ans, la taille moyenne, le poids trop élevé, la poitrine forte mais basse, les cheveux couleur foin printanier (numéro 647) avec, en guise de toupet, une mèche orangée (numéro 299). Jusqu’à tout récemment, j’étais inspectrice des travaux publics à Cône Orange. À ma retraite, je me suis acheté un condo dans le complexe Bruant-des-Marais de l’agglomération de Magog. Pour ceusses qui se demandent où se trouve Magog sur le globe terrestre, je vous suggère de chercher un peu au nord de la frontière canado-américaine, à mi-chemin entre Saint-Pierre-de-Véronne-à-Pike-River et Saint-Venant-de-Paquette. J’ai choisi de déposer mes pénates dans ce coin perdu du territoire ancestral des Abénakis à la suite de la campagne de publicité « Ma retraite en Estrie » du gouvernement du Québec. Un bel artiste du coin (un dénommé Vincent Vallières, si ma mémoire est bonne) y vantait la beauté des paysages – dont le la

Super Colette. Chap. 2 : Et la lumière fut

  Vous vous rappelez que je suis déménagée dans la RPA Les Lucioles à l’automne 2019. Or, qu’arriva-t-il à la fin de l’hiver suivant, plus exactement le vendredi 13 mars 2020 ? Bingo, vous l’avez : en raison de la pandémie de Covid-19, le gouvernement de monsieur Legault déclara l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois. En conséquence, je fus confinée dans la résidence pendant douze mois. Douze longs mois à ne voir personne d’autre que des zombies masqués dans les corridors de la résidence. Douze longs mois à ne pouvoir aller ni au supermarché, ni au centre d’achats ni même dans le grand salon au rez-de-chaussée pour jouer aux cartes. Douze mois à vivre « Le retour des morts-vivants 4 », à blasphémer après ma fistule anale, à regretter d’avoir quitté « Ma retraite en Estrie ». Le pire survint au début de l’été quand Alien réussit à entrer dans la résidence via les voies respiratoires d’une employée ou d’un livreur. En une semaine, quinze locataires se retrouvère

Super Colette. Chap. 3 : Je ne suis pas seule

  Quand je dis que j’ai pris mon mal en patience, cela ne veut pas dire que je suis restée les bras croisés sans rien faire. Non, madame ! Comme disait ma grand-mère, la curiosité est le meilleur remède contre l’ignorance. Je me suis installée devant mon ordinateur portable et j'ai commencé à effectuer des recherches avec l’aide de mon intelligence artificielle préférée, Google. Je cherchai d’abord « halo-lumière-bleue-covid-19-femme ». Sans succès : l’IA me proposait uniquement des sites parlant d’halos lumineux nocturnes et d’aberration sphérique chez les femmes ayant subi une chirurgie réfractive cornéenne au Lasik ou au PKR. Après plusieurs autres essais infructueux, je tapai « femme-avec-un-superpouvoir ». Et là, miracle, je tombai sur plein de sites racontant l’histoire d’une Écossaise, Joy Milne, atteinte d’hyperosmie héréditaire, c’est-à-dire d’un odorat hypersensible. Cela lui permettait de dire si une personne était atteinte de la maladie de Parkinson simplement en se

Super Colette. Chap. 4 : Raymond

  Avant de vous raconter ma première sortie postpandémie, il convient que je vous parle un peu de Raymond Quentin. Raymond a emménagé aux Lucioles à peu près en même temps que moi. Son épouse était décédée l’année précédente à la suite de ce que les journaux qualifient généralement « d’une longue maladie », un bel euphémisme pour les maladies neurodégénératives telles les démences et les scléroses en plaques. Une fois son deuil fait, Raymond avait ressenti le   besoin de sortir des quatre murs de son logement et de voir du monde. D’où Les Lucioles . Je le rencontrai un mardi soir dans la salle communautaire. Je fus agréablement surprise par sa prestance et sa belle apparence. Imaginez un homme assez grand – plus que moi en tout cas –, bien proportionné - c’est-à-dire ni gros, ni mince -, sans barbe ni moustache, avec des cheveux poivre et sel et des yeux pétillants couleur noisette. Nous cherchions tous deux un partenaire pour participer à un tournoi de whist militaire. L’animat

Super Colette. Chap. 5 : Braderie sur la rue Principale

  On se serait cru en été tant le soleil nous chauffait la couenne. Pourtant, nous étions seulement à la mi-avril. Des monticules de neige subsistaient   dans les racoins sombres des cours et les pelouses étaient encore jaunes. Pour bien marquer la fin de la pandémie, j’avais enfilé une robe fleurie et des escarpins blancs. Sous le bras, un cardigan en laine mérinos au cas où Galarneau déciderait d’aller faire une sieste dans un gros nuage, au cas où le suroît se mettrait à nous souffler l’air froid du lac. Le climat de Magog est si variable et si peu prévisible, qu’il vaut toujours mieux être trop vêtue que pas assez. Raymond me rejoignit dans le hall peu après le déjeuner. Si vous aviez vu sa braverie : on aurait juré qu’il s’en allait à des noces. À ses noces ! Il avait méticuleusement repassé tous ses habits et harmonisé la ceinture avec ses souliers, la veste avec son pantalon. J’étais fière de marcher à ses côtés. Je sentais que nous allions bien profiter de notre première

Super Colette. Chap. 6 : Raymond trouve une solution

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  Ce soir-là, je ne voulus pas dormir seule. J’étais trop anxieuse. Pour la première fois depuis que j’avais foutu mon exécrable conjoint à la porte, je ressentais le besoin d’une présence masculine. Certes pas dans mon lit – faut pas confondre sécurité et intimité -, mais sur le divan du salon, à portée de voix. Raymond accepta gentiment ma requête. Il vint me rejoindre après le souper avec un petit sac contenant quelques effets personnels et des anxiolytiques pour calmer mes troubles anxieux. Un comprimé c’est bien, m’a-t-il assuré avec un petit sourire aux lèvres, deux c’est mieux. Je suivis le conseil de mon infirmier improvisé et   passai une nuit merveilleuse, sans cauchemars ni même le début d’un rêve. Je me réveillai le matin, fraîche et dispose. Une bonne odeur de café m’accueillit dans la cuisine où un Raymond déjà habillé achevait de faire cuire du pain doré sur la cuisinière. Pendant un instant, je suis redevenue la Colette de huit ans qui s’apprêtait à déjeuner avant d

Super Colette. Chap. 7 : Sens dessus dessous

  Le lendemain matin, je fus réveillée par un brouhaha dans le corridor. Rapidement, j’enfilai une robe et mes lunettes pour voir de quoi il retournait. Comme j’ouvrais le porte, je vis deux ambulanciers sortir de l’appartement d’en face avec une civière sur laquelle reposait un corps inanimé recouvert d’un drap blanc. Avisant non loin de là madame Marie-Marguerite Castonguay Caron, la directrice de la résidence,  j’allai lui demander ce qui se passait. Monsieur Beauchamp n’avait pas répondu ce matin à l’appel quotidien du programme de surveillance PAIR, ce qui avait déclenché une alerte à la réception. Elle était montée à son appartement et l’avait trouvé mort dans son fauteuil. Selon le médecin légiste, monsieur Beauchamp est décédé hier vers midi. Me rappelant que mon voisin écoutait Paint it Black à ce moment-là, je demandai à la directrice si elle avait entendu de la musique en entrant dans l’appartement. Non, fut sa réponse. Elle devait maintenant aller prévenir la petite amie