Ange 2 : L'innocence des anges

  

Le fait d’être beau comme un ange confère plusieurs avantages à son titulaire. Je vous ai raconté précédemment que je m’étais fait plein d’amis à l’école, que mes bulletins scolaires étaient remplis de A et que, si je l’avais voulu, j’aurais pu avoir une seconde mère. À l’âge adulte tous ces avantages se sont poursuivis. Mon apparence m’a aidé à obtenir un emploi bien rémunéré dans un club de la rive sud, à acheter ma première maison d’une veuve sans enfant et, surtout, vous vous en doutez bien, à ne jamais dormir seul le samedi soir. Toutes les femmes rêvaient de mettre leurs pantoufles sous mon lit. Une seule y parvenait à chaque semaine. Je l’appelais affectueusement « ma pizza ».

Le fait d’être beau comme un ange a aussi eu pour moi une conséquence imprévue laquelle, malheureusement, s’est évaporée à l’âge adulte : celle de l’innocence. J’ai découvert vers 8-9 ans qu’aux yeux des adultes, les p’tits anges ne sont coupables de rien, que le tort ou le mal qu’ils font est le fruit d’un malheureux hasard, et que les vrais coupables sont en fait eux-mêmes parce qu’ils n’ont pas su veiller sur leur progéniture. Voici deux exemples pour illustrer mon propos

Au moment de mes huit ans, ma sœur Jacinthe en avait trois. Comme le reste de la fratrie, maman l’élevait avec une suce dans la bouche, question qu’elle reste tranquille dans son coin. Elle trempait la suce dans du miel avant de la donner à ma sœur. Jacinthe suçait tout le miel puis, quand seul restait l’arrière-goût du caoutchouc, elle en redemandait. Toujours est-il qu’un après-midi où maman était sortie cinq minutes faire une course au dépanneur, me propulsant ipso facto  gardien de la maison, Jacinthe s’est mise à chigner pour avoir du miel. En bon p’tit ange, j’ai mis de côté mon jeu de Meccano™ et j’ai été chercher le pot de miel que maman laissait sur la table de la cuisine. J’ai ouvert le pot et l’ai tendu à ma sœur qui aussitôt y a trempé sa suce en babillant de plaisir. Comme je n’avais pas envie d’être dérangé à nouveau, j’ai laissé le pot à ma sœur et suis retourné dans ma chambre. Je sais, je sais, je n’aurais jamais dû faire ça. Mais, quand on a huit ans, ça semble LA chose logique à faire, surtout considérant la concentration que requérait mon Meccano™.

J’ai compris que maman était rentrée quand je l’ai entendu crier dans la cuisine « Bon Dieu, Jacinthe! Qu’est-ce que t’as fait là pour l’amour du Saint Ciel ? » Pris d’un soudain soupçon de culpabilité, j’ai couru à la cuisine. Ma sœur était assise dans une flaque de miel et léchait goulûment un à un ses doigts gluants. Maman a soulevé à bout de bras une Jacinthe miellée des cheveux aux orteils et l’a mise dans l’évier de la cuisine. Pour ma part, je me suis empressé de ramasser le pot et de remettre son couvercle. Un geste inutile vu que le pot était presque vide. Néanmoins, un geste de bonne volonté, ma façon de montrer à maman que je n’avais rien à voir avec ce qui s’était passé.

Naturellement, maman a crû en mon geste et m’a innocenté de tout. « Je n’aurais jamais dû laisser les enfants seuls, se lamenta-t-elle. Même pour cinq minutes. Qu’est-ce que les autres mères vont penser de moi ? » Puis, reprenant ses esprits « Viens Jacinthe, maman va te laver et te changer de linge ». Bien que j’aie été responsable de ce qui s’était passé, maman en prenait tout le blâme. C’est ça que je veux dire par l’innocence des anges.

L’été suivant, papa a emprunté l’auto de son frère pour nous amener piqueniquer dans un grand parc municipal. Je ne me rappelle pas de la marque ni du modèle de l’auto, seulement qu’elle avait de grandes ailes pointues à l’arrière et un bras de vitesse sur le volant. Une fois sur place, papa a garé la voiture devant un fossé de drainage, puis est parti avec maman préparer la table de piquenique, nous laissant seuls dans l’auto.

Qu’est-ce qu’a fait le p’tit ange ? Il s’est assis à la place du chauffeur et a fait comme s’il conduisait l’auto. Naturellement, conduire signifie embrayer la transmission. J’ai donc tiré le bras de vitesse vers moi et l’ai descendu à la position D (pour Drive). Aussitôt, l’auto s’est mise à avancer toute seule vers le fossé de drainage. Paniqué, je suis sorti de l’auto en courant et j’ai crié «  Papa, papa, viens vite, l’auto va tomber dans le fossé. » Heureusement un bloc de béton a arrêté net la voiture et empêché ma gaffe de virer au drame. Papa s’est calmement assis au volant, a remis le bras de vitesse à P (pour Park) et, surtout, a activé le frein de stationnement, ce qu’il avait oublié de faire à notre arrivée sur les lieux. Il a ensuite expliqué à une maman au bord de la crise de nerfs que tout était de sa faute, qu’il avait oublié d’appliquer le frein de stationnement et mal positionné le bras de vitesse. Ensuite, il s’est tourné vers moi et m’a félicité d’avoir eu la présence d’esprit de venir le chercher. Ce faisant, il a confirmé ma théorie de l’innocence des anges.

Aujourd’hui, à 45 ans, j’ai à mon tour un beau garçon de douze ans que j’élève seul. Les infidélités répétées de mon ex, aujourd’hui évanouie dans le décor, ont facilement convaincu le juge que je devais avoir la garde exclusive de Junior. Comme je suis déjà passé par là, je sais exactement ce que vit mon p’tit ange. Je lui enseigne donc avec patience les mille et une manières d’utiliser le physique avantageux que je lui ai transmis, afin qu’il puisse traverser l’adolescence avec le minimum d’anicroches.

Les membres de mon club trouvent que j’ai drôlement le tour avec Junior. Tellement qu’ils m’ont surnommé Mom. Maurice Mom Boucher.

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