Kröm
Les gens de la région l’appelaient par son diminutif, Kröm. Son nom complet, d’origine allemande, était trop difficile à prononcer. Tout comme d’ailleurs le nom de l’endroit où il vivait : monadnock. Le monadnock oriental de Saint-André-de-Kamouraska.
Andréennes et Andréens aimaient en parler, surtout aux touristes, mais bien peu d’entre eux l’avaient rencontré. Faut dire que Kröm vivait tout en haut de la falaise, face au fleuve lequel, à cette hauteur, devient salé et glacial en se mariant à la mer. Ajoutez à cela un vent dominant du nord, et vous aurez une idée de la rigueur du climat où vivait Kröm. C’est d’ailleurs pour cette raison que les cultivateurs s’étaient établis au sud du monadnock. Là, leurs cultures étaient à l’abri du nordet et jouissaient d’un maximum de soleil. Ils y cultivaient même la prune depuis plusieurs siècles.
Kröm se moquait des cultivateurs. Il les traitait de frileux, de culs-terreux (sic). Lui préférait regarder le fleuve aller et venir avec la marée. Parfois, son regard était attiré par un groupe de bélugas se nourrissant de capelans. Il les regardait tour à tour plonger vers leur nourriture et venir respirer à la surface. Il enviait leur capacité de nager. D’autres fois, c'était des eiders, des cormorans ou des petits pingouins qui attiraient son regard. Il enviait leur capacité de voler librement dans les airs.
Kröm se rappelait avoir déjà vu d’énormes esturgeons noirs s’ébattre à la surface de l’eau. Peut-être pour frayer. Aussi, des phoques à capuchon. Une fois, il avait même vu des morses venir se reproduire sur le Long Pèlerin au milieu du fleuve. Mais ça, c’était il y a très très longtemps. Avant les premiers bateaux de pêche, des Basques venus chasser la baleine. Puis, vinrent des navires français. Leurs marins parlaient avec un drôle d’accent. Le plus comique d’entre eux était leur capitaine. Dès qu’il mettait le pied à terre quelque part, il plantait une croix et prenait possession des lieux au nom de son rouai. Comme si la terre pouvait appartenir à un seul homme!
Plus tard, ce furent des canots d’écorce allant vers ou venant de Tadoussac pour la traite des fourrures. Puis, les grands voiliers des colonisateurs, les goélettes des marchands de bois, et, finalement, toutes sortes de gros bateaux en métal.
En quelques décennies, le fleuve s’est rempli de bruits de moteur et d’odeurs de fuel mal brûlé. Fini la tranquillité. À cela se sont ajoutés pour Kröm des embruns acides. Il commença alors lentement à dépérir. Des gens de la grande ville vinrent le visiter. Ils constatèrent que Kröm n’allait pas bien du tout. Ils lui proposèrent de venir vivre avec eux. Dans une maison de retraite. Kröm se sentait trop faible pour refuser. Il se laissa faire.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, Kröm a pris du mieux depuis qu’il est en ville. Faut dire que tous sont aux petits soins avec lui. Chacun s’assure qu’il ne manque de rien. Payez-lui donc une visite par un beau jour frais et ensoleillé. Kröm, le plus vieux krummholz du Bas-Saint-Laurent (près de mille ans d’âge) vit dans la serre des bonsaïs du Jardin botanique de Montréal. Il s’ennuie de son monadnock, surtout du fleuve. Aussi, quand vous le verrez, n’hésitez pas à vous approcher de lui. Parlez-lui des bélugas, des esturgeons, des eiders. Vous l’entendrez bruire de plaisir.
(Source : canadiannaturephotographer.com) |
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