Mafalda
Le présent texte fait suite à « Fringant », populaire opus paru aux éditions La Pléiade il y a 15 jours. Je rappelle ici les dernières lignes de ce chef-d’œuvre :
− … Je soigne toutes les maladies et je rajeunis ce gentil mamm...
− …..
− …..
Fringant n’entend plus rien. Pis, aucune douleur n’est disparue. Il n’ose ouvrir les yeux. Après quelques instants, il n’en peut plus : il l’appelle tout bas :
− Luciole ? Luciole ?
Puis, plus fort : − LUCIOLE ?
*****
− Comment m’as-tu appelée ?
Ce n’est pas la petite voix haut perchée de Luciole. Fringant ouvre les yeux. Mafalda se tient exactement là où se tenait Luciole.
− Mais, mais, mais… (la gorge soudainement nouée, Fringant ne peut terminer sa phrase)
− Meuh, meuh meuh quoi ? Tu n’es pas content de me voir ? demande la ruminante.
− Que, que fais-tu ici ? parvient finalement à formuler l’équidé.
− Quand je me suis levée, je t’ai vu dans le pré. Alors, j’ai pensé venir brouter avec toi.
− Et, que mâches-tu là stupide bovidé ? hennit Fringant en piaffant (de la vapeur sort de ses nasaux).
− Du trèfle ne vous déplaise cher hongre bourru.
La colère de Fringant atteint son point d’ébullition :
− Crache ça tout de suite, stupide lactifère !
Mafalda reste bouche bée devant l’insulte, ce qui déclenche son réflexe de déglutition.
− Gloup ! Je n’ai plus rien dans la bouche. Si tu veux, je te laisse tout le trèfle de ce pré. Il est particulièrement bon en ce temps de l’année : ses fleurs tendres sont gorgées de nectar et de pollen. Quoique celui-ci avait un petit goût bizarre qui m’a chatouillé la gorge…
C’en est trop pour Fringant qui se cabre puis se rue sur Mafalda. Celle-ci ne comprend goutte à ce qui se passe. Elle décide néanmoins de ne pas attendre d’explication : elle prend les pattes à son cou, direction l’étable. Fringant fait un galop d’essai pour la rattraper – un canter en langage hippique - , puis trotte derrière elle.
− Attends que je t’attrape espèce de pécore. Je suis peut-être un herbivore, mais pour toi je suis prêt à faire une exception.
Mafalda court de plus en plus vite, comme si elle avait des ailes. Un grand frisson la traverse. Elle sent son ventre se contracter, son échine se redresser, son mal de dent disparaître. Mafalda s’arrête net. Que se passe-t-il ? Pourquoi, tout à coup, se sent-elle aussi bien ? Pourquoi Fringant est-il si loin derrière elle? Turlupinée par ces questions existentielles, Mafalda s’accroupit et pose sa tête sur sa patte avant gauche pour mieux réfléchir sur la condition bovine. J’espère, se dit-elle après un moment, que la course va refroidir les esprits de Fringant et qu’il pourra me fournir, tel Jean-Paul Sartre, une réponse à l’être et le néant de mon existence.
Fringant finit par rejoindre Mafalda. Il est à bout de souffle, mais sa colère est retombée. Heureuse de constater qu’elle avait vu juste, Mafalda, dans un effort surbovin, se fait toute ouïe pour son ami. Fringant lui raconte alors l’apparition de Luciole et comment il a failli redevenir jeune. Mafalda comprend que Luciole a terminé son sort dans sa bouche, faisant d’elle la récipiendaire dudit sort. Elle comprend aussi qu’elle a occis la fée par inadvertance. Ses yeux se mouillent : son vieil ami est triste à cause d’elle. Elle juge inutile d’accroître sa peine en lui disant que le sort a fonctionné. Elle s’approche plutôt de Fringant et lui dit d’une voix douce où perce l’affection :
− Je suis sincèrement désolée de ce qui est arrivé. Retournons ensemble dans le pré. Les lucioles se déplacent toujours en groupes. On en trouvera bien une qui a besoin d’aide et qui, en retour, te rajeunira.
Fringant a aussi les yeux mouillés. Pendant un instant, il s’est vu ne plus souffrir de partout, avoir fière allure, redevenir fringant (NdA : qui refuserait de rajeunir si on lui en offrait la chance ? Certainement pas moi !) Ce qui a commencé par un incident s’est terminé par un accident, se dit Fringant. C’est le Destin ! (NdA : les chevaux sont de grands philosophes. Ils finissent toujours par accepter ce qui est ou doit être.)
Fringant s’en veut maintenant d’avoir été aussi méchant avec Mafalda. Il est content qu’elle veuille bien rester son amie.
− OK, dit-il d’une voix maintenant apaisée, retournons brouter ensemble.
Tous deux reprennent le chemin du pré, Fringant en clopinant, Mafalda en dandinant du derrière comme une jeune taure. Du lait s’échappe de ses pis gonflés par leur jeunesse retrouvée.
Source : opensanctuary.org |
Si jamais, je me permets de demander, il est possible connaître le pré pour aller m'y dandiner avant que la première neige soit tombée je vous en serais fort gré.
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