Fringant
Fringant ! Le fermier avait pensé bien faire quand il avait appelé ainsi son nouveau poulain Cob Gypsy parce qu’il ne tenait pas en place. Mais, quinze ans plus tard son nom n’attire plus que moqueries et rires. Seule son amie Mafalda, une vache canadienne à la robe rousse, ne se paie pas sa tête. Et pour cause : elle a le même âge que lui. Ils ont vieilli ensemble, lui comme animal de trait, elle comme laitière. Force et lait leur manquent depuis plusieurs années, mais le fermier ne peut se résoudre à s’en départir. Plutôt que de faire boucherie, il les garde comme animaux de compagnie.
Nous sommes quand même plus utiles qu’un chien ou un chat, aiment dire les deux mammifères domestiques : nous, au moins, nous tondons le pré et produisons un fumier qui engraisse la terre. Aussi, l’urine de cheval est bonne pour éloigner les coyotes du poulailler et, tous le savent, la canadienne sait se montrer affectueuse quand il le faut.
Nos deux bêtes ont aussi leurs défauts : Fringant est bourru comme un canasson et Mafalda têtue comme une carne. Mais, cela ne dérange pas le fermier. Par contre, Fringant tolère moins bien la logorrhée de Mafalda. Celle-ci peut lui rabattre les oreilles des heures de temps avec des sujets aussi « passionnants » que la traite sur demande ou la thermisation du lait. Heureusement, les deux amis ont appris à se respecter et à faire leurs activités chacun de son côté.
Toujours est-il qu’un beau matin d’août, Fringant décide d’aller se repaître de graminées fraîches. Il sort de l’étable sur la pointe des sabots pour ne pas réveiller Mafalda et part au petit pas vers le pré voisin. Notre équin ne trotte plus que rarement en raison de son arthrite, surtout pas les matins humides comme celui-ci. Aussi, il ne galope plus qu’en cas d’absolue nécessité, c’est-à-dire jamais. Parvenu à destination, soit à moins de 500 mètres de l’étable, Fringant s’attelle à son déjeuner. Il tire sur une première tige qu’il se met à mâcher en regardant au loin la rosée s’élever en une fine brume. Puis, il déglutit et s’attaque à une seconde tige, une troisième… Tout d’un coup, en tirant sur une tige de seigle sauvage, il déchire une grosse toile d’araignée ce qui permet à une luciole de se libérer. Inconscient de la portée de son geste, Fringant va reprendre la séquence mastication-contemplation-déglutition quand une petite voix se fait entendre : « Merci beaucoup, gentil cheval. Tu viens de me sauver d’une mort atroce entre les chélicères d’une argiope des champs. » Fringant n’en croit ni ses oreilles, ni ses yeux : assise sur une fleur de trèfle, une luciole lui parle !
− Je suis la fée Luciole. Pour te récompenser de m’avoir sauvé la vie, je suis tout disposée à satisfaire ton vœu le plus cher.
− Ah oui ? répond le canasson d’un air incrédule. (Tu parles d’une histoire, pense-t-il). Alors, je peux te demander n’importe quoi, dit-il, n’en croyant toujours pas ses sens.
− Essaie toujours et je verrai ce que je peux faire.
Qu’est-ce qui me ferait bien plaisir ? se demande Fringant. Immédiatement, ses douleurs arthritiques lui soufflent la réponse.
− Pourrais-tu guérir la gonarthrose qui ronge mes articulations ?
− Bien sûr, répond la fée, c’est dans mes cordes.
− Alors, se hasarde à demander Fringant, puis-je rester dans le domaine des articulations et te demander de guérir en même temps la discopathie dégénérative sévère qui fait s’affaisser ma colonne ?
− Pas de problème, répond Luciole en souriant. Tant qu’à te remonter l’échine, on devrait peut-être en profiter pour raffermir ton ventre. Un petit gainage ferait le plus grand bien à ta panse.
− Il est vrai que je n’ai pas la silhouette étique (sans h) d’une haridelle, rétorque le canasson en essayant vainement de rentrer son ventre, ce qui l’oblige à retrousser les babines et à exhiber une dentition jaune et usée.
− Ah, que voilà de vilaines dents note la fée qui semble avoir des yeux composés de dentiste. Peut-être une nouvelle dentition avec ça?
− Oui, oui, s’empresse de répondre Fringant en tournant honteusement la tête pour cacher son absence d’hygiène buccale.
− Bien, si je résume cher sauveur, tu souhaites que je soigne ta gonarthrose et ta discopathie, que je regaine ta panse et que je te donne la dentition de l’âne de Skrek. En un mot, comme en mille, tu souhaites que je te redonne ta jeunesse afin que tu te sentes à nouveau un étalon et ce, même si tu es un hongre.
− En plein ça de répondre Fringant, les yeux brillants d’anticipation.
− OK, tourne-toi de côté et ferme les yeux. Je vais exaucer ton vœu.
Fringant obéit et ne bouge plus. Toujours assise sur la fleur de trèfle, Luciole sort une baguette d’on ne sait où, et dit :
− Par les pouvoirs que m’a conférés la Fédération Internationale des Fées (la FIF pour ses membres)…
Ça commence bien, se dit Fringant.
− … Je soigne toutes les maladies et je rajeunis ce gentil mamm...
− …..
− …..
Fringant n’entend plus rien. Pis, aucune douleur n’est disparue. Il n’ose ouvrir les yeux. Après quelques instants, il n’en peut plus : il l’appelle tout bas :
− Luciole ? Luciole ?
Puis plus fort : − LUCIOLE ?
Aucune réponse. Que se passe-t-il ? Pourquoi Luciole ne répond-elle pas ? Luciole a-t-elle un trou de mémoire ? Fringant rajeunira-t-il ? Nous le saurons dans deux semaines lors du prochain atelier d’écriture.
Source : britishbreedersshowcase.co.uk |
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