♪ Il y a de l’amour dans l’air ♪

 

(Sonnerie de cellulaire)

L’auteur :  Allô, oui ?

L’éditrice : Bonjour mon auteur préféré. Je ne te réveille pas, j’espère?

L’auteur (toujours au lit) : Pas du tout ! Je suis en train de prendre mon café en lisant le journal.

L’éditrice : Tant mieux ! Serais-tu disponible ce midi pour un lunch à l’Espresso? J’aimerais qu’on discute un peu de ton manuscrit.

L’auteur :  Bien sûr. J’y serai vers 11 h 45.

L’éditrice :  Parfait. On se voit tout à l’heure.

Clic !

C’était qui ? demande l’oreiller à côté de l’auteur.

C’était ton ex mon trésor. Elle veut me voir ce midi pour discuter…

Ne bois pas trop, SVP. N’oublie pas que ta fille vient souper ce soir.

Je n’oublie pas. Pour le moment, je dois me lever et déjeuner. Je me demande bien ce qu’elle me veut. Il me semblait qu’elle avait accepté tel quel le deuxième volume des Traînées d’encre. Elle m’avait même dit avoir adoré mes petites histoires imaginaires, parfois pseudo-historiques, souvent humoristiques.

Midi, à L’Espresso.

L’éditrice :  Bonjour mon auteur préféré. Je te présente mon nouvel adjoint littéraire. Il a pris la liberté de commander une bouteille des Amours de la Reine pour nous ouvrir l’appétit.

L’adjoint littéraire écarte une mèche blonde et adresse son plus beau sourire à l’auteur.

L’auteur (pour lui-même) :  Bon sang, ce bellâtre a l’âge de son fils. Elle ne l’a sûrement pas engagé pour ses études littéraires. C’est pas Pivot, c’est Gigolo!

L’éditrice : Hier soir, mon adjoint m’a passé une remarque très pertinente sur ton manuscrit. Selon lui, il lui manque un petit quelque chose.

L’auteur (d’un ton neutre) : Ah oui ? Pourtant, il me semblait bien avoir tout inclus…

L’Éditrice : Non, non, ce n’est pas ça. Mon chéri, répète-lui ce que tu m’as dit. Tu es plus pédagogue que moi.

L’auteur avale sa gorgée de travers.

L’adjoint littéraire : Vous connaissez certainement Éric-Emmanuel Schmitt. Ses recueils de textes se sont vendus à des millions d’exemplaires, ce qui l’a rendu multimillionnaire, n’en déplaise au fisc français.

L’auteur fait signe que oui de la tête en se disant, in petto, OK Mèche blonde, tu as maintenant toute mon attention!

L’adjoint littéraire : Or, voyez comment EES publie : il ne numérote pas ses recueils, ni leur donne un titre anodin comme vous le faites. Il place plutôt en tête de chaque ouvrage une belle histoire d’amour dont le titre devient celui du recueil. Prenez par exemple son recueil « La rêveuse d’Ostende ». La nouvelle éponyme raconte une magnifique histoire d’amour au bord de la mer entre une femme handicapée et un prince royal. Idem pour son recueil « Les deux messieurs de Bruxelles » : la nouvelle éponyme raconte l’histoire de deux gays qui profitent d’un mariage à l’église pour unir leurs destinées et qui vont plus tard veiller sur le fils des mariés. Ce sont ces histoires d’amour qui font vendre les livres d’EES. Je crois que vous devriez faire de même : écrire une belle histoire d’amour que nous placerons en tête de votre recueil. Son titre sera celui de votre recueil.

Je regarde mon éditrice : toutes ses dents sont en train de sécher à l’air libre. Son regard trahit son admiration pour son jeune étalon.

Pour ma part, je reste sans voix. Comment ce péquenot ose-il me dicter mon écriture ? Une petite partie de moi sait qu’il a raison, mais l’autre, la principale, fière comme un Espagnol, ne rêve que de sang et de mise à mort.

Contrairement à mon habitude, je mange très peu. Puis, je tire parti d’un échange de mots doux entre la cougar et son bellâtre, pour m’excuser et quitter sans acquitter mon écot.

Je prends l’après-midi pour faire les courses en prévision du souper. De retour à la maison, je subis l’interrogatoire de mon oreiller. Mais, il a beau me torturer, je ne lui dis rien de son ex, encore moins de son « adjoint ». Tout au plus, je lui parle d’EES et de la suggestion de son ex que j’écrive une belle histoire d’amour. Brrr ! Juste d’y penser, j’en ai des frissons dans le dos. Plutôt écrire la biographie de mon canari qu’un roman Harlequin.

Dix-huit heures. On sonne à la porte. Je vais ouvrir. C’est ma fille avec son nouveau copain qu’elle me présente fièrement : le fils chéri de mon éditrice et de mon oreiller. Hum ! Le souper va être des plus intéressants.

« Oreiller, la visite est arrivée ! »

Des deux côtés, la surprise est totale. Je profite du silence qui règne dans l’entrée pour m’éclipser. Un éclair de génie vient de me frapper. Je cours à mon ordinateur jeter à toute vitesse le canevas d’une histoire d’amour à nulle autre pareille. Rien à voir avec Tristan et Juliette.

Puis, je reviens à table et reprends mon rôle d’hôte. Le souper se déroule bien, mieux que ne le craignait mon oreiller. Si bien que quatre bouteilles de vin plus tard, les jeunes tourtereaux nous quittent en promettant de revenir très bientôt.

Tandis que mon oreiller ramasse, lave et range, j’écris mon histoire au clavier. La rédaction prend plus de temps que prévu, mais plus j’avance, plus je suis fier de mon œuvre. Vers deux heures, j’ai terminé.

Au petit matin, je téléphone à mon éditrice.

(Sonnerie de cellulaire)

L’éditrice (ensommeillée) : Oui, allô ?

L’auteur (enjoué) : Bonjour la meilleure des éditrices. Je ne te réveille pas, j’espère.

L’éditrice (couvrant sa poitrine) : Non, non, pas du tout, je suis en train de préparer le déjeuner.

C’est qui, demande Mèche blonde à côté d’elle ?

L’éditrice :  Chut ! … Non pas toi, mon auteur préféré. Je parle au poste de radio.

L’auteur :  Ah, OK ! Serais-tu libre ce midi pour casser la croûte au Petit Extra ?

L’éditrice :  Bien sûr ! Que me vaut le plaisir de cette invitation ?

L’auteur (excité) :  J’ai suivi les conseils de ton adjoint littéraire et, hier soir, j’ai écrit la nouvelle liminaire de mon recueil.

L’éditrice (complètement réveillée maintenant) : Quoi ? Ne me dis pas que tu as été capable d’écrire une histoire d’amour ?

L’auteur (fier comme un coq) : Oui ma chère, et pas n’importe laquelle. Mon histoire s’intitule « Il y a de l’amour dans l’air ». Qu’en penses-tu ?


Amor cortese de Giacomo da Lentini (1210-1260)


N.B. Toutes mes excuses à Martine St-Clair pour avoir emprunté le titre d’un de ses plus grands succès.

P.S. Je rêve d’être l’auteur préféré d’une grande éditrice.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Super Colette. Chap. 1 : Permettez-moi de me présenter

Le résidence Les Lucioles

Marc-Antoine