Brutalité policière

  

Cette année, j’ai décidé de participer à la manifestation contre la brutalité policière. Pas pour des raisons idéologiques : personnellement, je n’ai rien à reprocher aux forces policières de Cône Orange. Et, je n’ai jamais milité pour quoi que ce soit, même pas lors du Printemps érable. Non, j’ai décidé de manifester pour des raisons amoureuses. Je m’explique.

Il y a dix jours, j’étais en train de siroter une bière au Vermillon, quand les organisateurs de cette manifestation sont entrés prendre un verre et finaliser leur coup d’éclat annuel au centre-ville. Parmi eux, une belle brune aux formes affinées par le gym et aux yeux intelligents. Sans que nos regards se croisent, et sans qu’elle s’en rende compte, je suis immédiatement tombé amoureux d’elle. N’allez surtout pas croire que la chose m’arrive fréquemment ou que je me tienne dans les bars pour ramasser des filles. Non, pas du tout. Le soir, je suis préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD privé; alors, l’après-midi, quand il fait beau, j’aime lézarder au Vermillon avant d’aller travailler.

Discrètement, je me mets à écouter leur conversation. Juste pour entendre sa voix, juste pour apprendre son nom. Chloé, dit un organisateur en lui demandant le bol d’arachides. Chloé, le nom s’imprime dans mon cerveau. Je comprends qu’elle ne fait pas vraiment partie de l’organisation, qu’elle est simplement une sympathisante, amie d’une des organisatrices. Maintenant, je sais ce que je vais faire le jour de la manifestation : la rencontrer !

Au jour dit, je me pointe vers 14 h 30 à la Place du Canada, point de départ de la marche. Les organisateurs ont tout prévu pour moi : un masque pour que la police ne puisse pas m’identifier et une grande pancarte dénonçant en lettres sanguines la brutalité policière. Je n’ai pas pensé que cela aurait pour effet de faire de moi une cible pour les policiers et, en corollaire, une nouvelle victime de leur brutalité. Je ne pensais qu’à Chloé que je cherchais parmi les manifestants, ce qui vous l’avouerez n’est pas facile quand, dans la mêlée, on ne peut soulever ni les masques, ni les cagoules. Mais, peine perdue : nulle trace de sa forme parfaite ou de son regard intelligent.

Vers 15 heures, nous nous mettons en marche. Moi qui croyais que nous serions au moins quelques milliers, je m’aperçois que je représente à moi seul un pourcentage significatif de ce que le Journal de Mourial appellera le lendemain matin une « foule ».

Au coin de Bleury, les organisateurs changent brusquement d’itinéraire pour une raison que je ne comprendrai que trop tard : provoquer les forces de l’ordre. Celles-ci semblaient être au courant car, en tournant le coin, nous tombons face à face avec un bataillon de policiers anti-émeute armés de longues matraques. C’est là que la fête a commencé. Vous vous rappelez la scène du film « Les temps modernes » où Charlot se retrouve inconsciemment à la tête d’une manifestation ouvrière et se fait bastonner par des policiers? C’est en plein ce qui m’arrive. J’ai beau jeter ma pancarte au sol dès que je vois le bataillon, il est trop tard. Quatre policiers se ruent sur moi et commencent à me rouer de coups. Juste avant de perdre connaissance, je reconnais l’un d’entre eux : Chloé ! Quoi ? MA Chloé, une taupe de la police au sein des Forces Unies Contre le Système, les FUCKS (je sais, il y a une faute d’orthographe, mais que voulez-vous, on a déjà de la difficulté à écrire en français, alors en anglais…). Je me dis : si c’est ça sa vision d’une relation de couple, moi je décroche. Conséquemment, mon amour pour Chloé s’est évanoui aussi vite qu’il était né. Heureusement pour moi, mais quand même quelques ecchymoses trop tard, six membres de la sécurité des FUCKS interviennent et me transportent en lieu sûr.

Un des membres, en fait une, essuie tendrement le sang sur mon visage. Elle me rassure d’une voix douce, presque angélique. Je lui demande son nom. Charlotte. Je la fixe dans les yeux et me dit que, finalement, je n’ai peut-être pas manifesté pour rien.

La prochaine fois, je vous raconterai notre première bière au Vermillon avec son copain et comment je vis le grand polyamour. Pour le moment, sachez que je suis devenu anarchiste et que je donnerais ma vie pour renverser ce régime oppresseur !

 

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